Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 1, 2 novembre 2021, n°18/19490
Décryptage par Lucie Chênebeau – Avocat – IP-IT- MEDIA – DATA PROTECTION
La société de services de sécurité SERENITE propose aux laboratoires pharmaceutiques une permanence et une assistance téléphonique, ainsi qu’une pharmacovigilance dédiée, 24 heures sur 24.
En 2009, elle dépose les marques françaises ‘SERENITE 24’ et ‘VIGILANCE 24’ désignant des services en classes 35 et 44, correspondants à son activité.
La société EXCELIA fournit, quant à elle, aux copropriétés et services de gestion d’immeubles des prestations de téléservice, par le biais de centres de gestion d’appels téléphoniques, et une assistance permanente en cas de désordres nécessitant une intervention.
Constatant l’usage des signes ‘SERENITE 24’ et ‘VIGILANCE 24’ par la société EXCELIA pour désigner, selon elle, des services similaires aux siens, à savoir la gestion d’appels et l’assistance téléphoniques 24h sur 24, la société SERENITE, après l’avoir mise en demeure en vain, assigne la société EXCELIA en contrefaçon de marques, atteinte à ses marques de renommée, atteinte et usurpation de dénomination sociale, de noms commerciaux et de nom de domaine.
En réponse, la société EXCELIA réclame notamment la nullité des marques précitées pour défaut de distinctivité, ces signes étant selon elle descriptifs de l’activité de services visés à l’enregistrement.
Dans son arrêt rendu le 2 décembre 2021, la Cour d’appel de Paris rejette la demande de nullité de la marque ‘SERENITE 24’, considérant qu’elle est « certes évocatrice d’un état de calme, d’apaisement et de tranquillité permanent (…) mais pas pour autant descriptive des services d’assistance téléphonique ».
Elle rappelle de manière très pédagogique « qu’une marque évocatrice, faiblement distinctive, peut être valablement adoptée dès lors qu’elle ne constitue pas la désignation des produits et services visés à l’enregistrement ou de leurs caractéristiques ».
La marque étant valide, la demande de la société SERENITE en contrefaçon de sa marque ‘SERENITE 24’ est recevable.
La Cour s’est alors attelée à rechercher l’éventuel risque de confusion entre les activités des deux sociétés – l’un des critères essentiels pour caractériser la contrefaçon – une similitude, même faible, étant nécessaire entre les produits ou services en comparaison.
Or, si la société SERENITE propose une assistance dans le secteur médical, la société EXCELIA s’adresse aux gestionnaires d’immeubles. Les secteurs propres à chacune des deux sociétés touchent donc un public différent, ce qui implique qu’aucune confusion entre elles ne peut naître dans l’esprit du public.
La demande de la société SERENITE est donc rejetée.
En revanche, la cour considère que la marque ‘VIGILANCE 24’ fait directement référence au domaine de la pharmacovigilance, service figurant d’ailleurs dans le libellé des services que la marque désigne, et qui constitue le cœur d’activité de la société SERENITE.
Le nombre ‘24’ doit lui être compris par le public comme la disponibilité du service 24 heures sur 24.
Elle en conclut qu’en décrivant seulement les services proposés, la marque ‘VIGILANCE 24’, n’est pas distinctive et, en conséquence, l’annule.
La cour rappelle, là encore de manière pédagogique, que l’enregistrement d’une marque par l’Institut National de la Propriété Industrielle, avec ou sans opposition d’un tiers, « ne constitue pas une reconnaissance du caractère distinctif de cette marque et ne présume en rien de sa validité ».
La Cour précise que si la distinctivité peut s’acquérir par l’usage, c’est à condition que le titulaire « rapporte la preuve, notamment, d’un usage continu, intense, et de longue durée du signe (…) et de sa forte présence sur le marché, de sorte que le signe soit connu et identifié par le public pertinent en tant que marque », c’est-à-dire que la marque permette d’identifier l’origine commerciale d’un produit ou d’un service sur le marché.
La distinctivité constituant l’un des critères de validité d’une marque, elle est souvent soumise à l’appréciation du juge dans le cadre notamment de contentieux en contrefaçon ; son titulaire court alors le risque, si la marque est jugée dépourvue de distinctivité, qu’elle soit invalidée.
La réflexion est donc de mise avant de se lancer, car la faible distinctivité d’une marque pouvant se renforcer par son usage, il faut s’assurer dans pareille hypothèse que la marque aura été suffisamment exploitée pour résister à une demande de nullité.
Pour conclure, ce qu’il faut retenir de cet arrêt :
- un titulaire d’une marque doit être sûr de la validité de sa marque (disponibilité, distinctivité notamment) avant d’agir contre un tiers, sans quoi le tiers peut en défense soulever la nullité ou la déchéance de la marque ;
- l’enregistrement de la marque ne présume en rien de sa validité, l’INPI ne vérifiant ni la disponibilité ni la distinctivité de la marque au regard des produits et services désignés ;
- une marque évocatrice des produits et services proposés par le titulaire est distinctive, dès lors qu’elle ne constitue pas la simple désignation de ces produits et services ou de leurs caractéristiques ;
- la distinctivité peut s’acquérir par l’usage pour les marques descriptives, à condition que son exploitation soit continue, intense, suffisamment longue, et que la marque occupe une place de choix sur le marché du secteur concerné ;
- le titulaire d’une marque doit vérifier qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du consommateur entre ses activités et celles du tiers qu’il souhaite assigner, sans quoi l’action en contrefaçon ne saurait prospérer ;
- pour caractériser le risque de confusion, la similitude entre les signes d’une part, et les produits et services des marques visées d’autre part sont examinées ; si une similitude entre les signes peut compenser des différences entre les produits ou services, une similitude même faible les produits et services en comparaison devra impérativement être démontrée.
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