« La démission ne se présume pas ». Voilà un principe de base du droit social que vient égratigner sérieusement un projet de loi récemment voté à l’Assemblée nationale[1]. L’article L. 1237-1-1 (nouveau) du code du travail, issu de ce projet de loi dispose :
« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire.
L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue dans un délai d’un mois suivant sa saisine.
Un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités d’exécution du présent article. »
Cet article crée donc une présomption (simple) de démission, lorsque le salarié abandonne volontairement son poste, à condition toutefois qu’il ait été préalablement mis en demeure de reprendre le travail, ou bien qu’il n’ait pas été contraint de quitter son poste pour des raisons de santé ou sécurité.
La présomption de démission pourra être contestée devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes suivant une procédure accélérée au fond dans un délai d’un mois suivant la saisine.
Si le but affiché de cet amendement est de poursuivre un « impératif d’efficience économique et de justice »[2], il soulève de nombreuses interrogations et inquiétudes parmi les praticiens du droit social.
Tout d’abord, d’un point de vue strictement juridique, cet amendement est en contradiction avec le principe selon lequel la démission ne se présume pas, et qu’elle doit être « claire et non équivoque »[3].
Sur le plan pratique ensuite, l’abandon de poste recouvre des réalités très différentes :
- Est-il équitable de considérer comme démissionnaire, un salarié en souffrance au travail (notamment par suite d’un harcèlement sexuel ou moral) qui, face au déni ou à l’absence de réaction de l’employeur, n’a eu guère d’autre choix que d’abandonner son poste ?
- Comment justifier l’existence d’une transaction entre un employeur et un salarié qui se sont mis d’accord pour se séparer amiablement ? si l’abandon de poste est désormais présumé constituer une démission, il n’y a a priori aucune raison de conclure une transaction et verser une indemnité au salarié. L’amendement complique fortement la motivation des transactions dans ce type de contexte ;
- L’application de ce nouveau texte reviendrait à mieux traiter des salariés licenciés pour faute grave ou faute lourde qui seraient couverts par l’assurance chômage, alors que le salarié ayant abandonné son poste en serait privé, en raison de sa démission présumée. Cette situation pourrait perdurer des mois car, malgré la procédure accélérée de traitement imposé par le législateur, l’employeur pourra toujours demander un renvoi de l’affaire pour se mettre en état, et le jugement ne sera rendu que des mois après la saisine initiale, laissant le salarié dépourvu d’assurance chômage durant cette période.
Adopté dans son intégralité le 11 octobre dernier par l’Assemblée nationale, le texte est désormais en examen au Sénat. Espérons que la Chambre haute amendera ce texte afin d’apaiser les inquiétudes que son application peut susciter. C’est la condition indispensable pour que cet amendement ait des chances de passer avec succès le barrage du Conseil constitutionnel.
[1] Projet de loi n° 219, portant « Mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi »
[2] Jean-Louis Thiériot (LR), « Abandon de poste : faut-il ne plus verser l’allocation chômage ? », Les Echos, 5 octobre 2022.
[3] Cass. soc. 25 novembre 2020, n° 19-12.447
_____
[1] Projet de loi n° 219, portant « Mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi »
[1] Jean-Louis Thiériot (LR), « Abandon de poste : faut-il ne plus verser l’allocation chômage ? », Les Echos, 5 octobre 2022.
[1] Cass. soc. 25 novembre 2020, n° 19-12.447