Le 19 décembre 2020, la cérémonie de l’élection annuelle de Miss France est diffusée à la télévision. Durant l’émission, l’une des candidates évoque ses origines israéliennes.
Dans la même soirée s’ensuivront une série de tweets à caractère antisémite, l’un des auteurs publiant même une photo d’Adolf Hitler à qui il déclare s’identifier en apprenant les origines de la miss en question.
La brigade de répression de la délinquance aux personnes (BRDP) est alors saisie et une enquête préliminaire est ouverte par le parquet de Paris pour « injures à caractère raciste et provocation à la haine raciale ».
Sur demande du ministère public, Twitter communique les adresses IP de création et de connexion des comptes dont le Procureur réclame l’identification. Ces demandes d’identification concernaient notamment quatre mineurs.
Entendu, l’un des prévenus se défend en expliquant avoir voulu « amuser la galerie ». Par ailleurs, si les prévenus reconnaissent le caractère injurieux des propos tenus dans ces tweets, ils contestent tous leur caractère antisémite.
Le 3 novembre 2021, la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris, jugeant ces propos outrageants et méprisants, condamne sept de ces personnes pour injure publique par voie électronique, aggravée en raison de l’origine, de l’ethnie, de la race ou de la religion.
Quatre des sept personnes condamnées devront effectuer un stage de citoyenneté de deux jours et un huitième prévenu est relaxé, le tribunal correctionnel estimant que le tweet ne visait pas personnellement la candidate.
Ce n’est pas la première fois que les juridictions françaises condamnent des auteurs de tweets pour injure publique. Cela a déjà été le cas notamment pour des tweets homophobes à l’encontre d’un adjoint à la mairie de Paris (TJ de Paris, 22 février 2017).
C’est ainsi qu’en juillet 2021, le parquet de Paris, d’ailleurs doté d’un pôle national de lutte contre la haine en ligne, indiquait enquêter sur la vague de messages caractéristiques d’injures publiques à caractère raciste postés sur Twitter et visant certains joueurs de l’équipe de France après leur élimination de l’Euro.
Ces tweets avaient été signalés au pôle de lutte contre la haine en ligne par la plateforme Pharos (Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements), créée en 2009 pour permettre à chacun de signaler aux services de police des contenus qu’ils estiment illicites.
Cette dernière condamnation démontre à nouveau, s’il en est besoin, qu’un ordinateur n’offre plus aux internautes l’anonymat dans lequel ils se sont longtemps réfugiés.
Il est en effet possible de lever l’anonymat des auteurs d’injures ou diffamations publiées anonymement ou sous pseudonyme en ligne. Si le fondement légal est ancien, la mécanique est surtout maintenant éprouvée.
Tout d’abord, la responsabilité civile ou pénale des hébergeurs peut être engagée à raison du contenu qu’ils hébergent, s’ils ne suppriment pas promptement de leur plateforme un contenu qu’ils savent illicite « dès le moment où ils en ont eu cette connaissance » (paragraphes 2 et 3 de l’article 6-I de la loi du 21 juin 2004).
C’est le cas des réseaux sociaux, dont notamment de Twitter, à propos des tweets postés chaque jour sur sa plateforme.
Ainsi, si, selon cette même loi, les réseaux sociaux n’ont pas l’obligation de surveiller les informations qu’ils transmettent et ne peuvent en être tenus responsables, ils doivent en contrepartie agir promptement pour les rendre inaccessibles au public dès lors qu’ils ont été alertés de leur caractère illicite.
Par ailleurs, la victime peut exiger, par voie judiciaire du réseau social sur lequel circulent les propos délictueux de lui communiquer les données de connexion permettant l’identification de l’auteur du post et ainsi des poursuites à son encontre.
Les hébergeurs ont en effet l’obligation de fournir au juge qui leur en fait l’injonction toutes les données qu’ils détiennent sur l’internaute auteur d’un contenu litigieux (nom, adresse, adresse IP, etc.) et permettre ainsi son identification.
L’identification finale de l’auteur des propos est alors permise grâce au résultat d’une ultime injonction judiciaire faite, cette fois-ci, au fournisseur d’accès à internet (FAI) de fournir toutes les données d’identification du titulaire de l’abonnement internet depuis lequel se connecte l’adresse IP en question.
C’est ainsi que grâce à un jeu de responsabilité en cascade, l’auteur de propos délictueux est identifié.
Ces obligations valent également pour les hébergeurs de forums de discussion, les sites de notation comme Trip Advisor ou l’espace d’avis Google, puisque tous ces sites hébergent du contenu en ligne accessible à tous.
Enfin, la suppression du contenu par son auteur ne change rien à la consommation de l’infraction, mais peut rendre difficile la démonstration de son existence pour la victime.
Effectuer au minimum des captures d’écran complètes présentant la date et l’heure des propos ainsi que l’adresse du site internet, et si possible procéder à un constat en ligne avec l’aide d’un huissier de justice, peut permettre de prouver leur existence.
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Tribunal judiciaire de Paris, 17e chambre correctionnelle, jugement du 3 novembre 2021
Décryptage par Lucie Chênebeau – Avocat – IP-IT I MEDIA I DATA PROTECTION