Tribune – Alexia Alfonsi, Juriste, Pôle IP-IT
Mardi 12 mai – Le 1er mai, l’Organisation Mondiale de la Santé a annoncé travailler avec les principaux réseaux sociaux à la lutte contre la désinformation autour du Covid-19, qu’elle avait précédemment qualifiée « d’infodémie ». Ainsi, entre fin janvier et début mars 2020, 45% des tweets en lien avec le Coronavirus postés sur le réseau Twitter semblent avoir été mis en ligne par des « bots ». Ces comptes-robots relayant de fausses informations au sujet de l’origine de l’épidémie, sa propagation ou encore sur les mesures préventives pour se prémunir de la maladie.
Les mesures de lutte contre les Fake News prises par les réseaux sociaux
Afin de lutter contre cette épidémie de Fake News, les réseaux sociaux ont pris un certain nombre de mesures. L’application de messagerie instantanée Whatsapp a ainsi modifié sa fonction « transfert de message », en bloquant le transfert d’un message d’un clic à toute sa liste de contacts, le transfert devant dorénavant être opéré à un contact à la fois afin de limiter la diffusion de masse d’informations qui pourraient s’avérer fausses.
D’autres plateformes comme Facebook ou Twitter ont été plus loin dans la lutte contre les Fake News en censurant certaines publications qui apparaissaient comme véhiculant de fausses informations. Ainsi, les tweets, posts Facebook et vidéos Youtube du Président brésilien Jair Bolsonaro vantant les mérites du traitement à base de chloroquine ont été supprimés par les plateformes fin mars. Quelques jours plus tard, c’est au tour d’un tweet du Président vénézuélien, Nicolas Maduro, dont le compte Twitter affiche 3,5 millions de followers, d’être supprimé alors qu’il conseillait le recours à des « remèdes naturels » pour lutter contre le Covid-19.
Pour autant, chaque réseau social semble donner arbitrairement sa propre définition de la notion de « Fake News » et des conditions de leur suppression. Ainsi, les extraits de la conférence de presse du Président Donald Trump, qui conseillent le recours aux UV ou à l’injection de désinfectant pour lutter contre le Covid-19, sont encore en ligne et diffusées massivement.
Les mesures adoptées en France
En France, la lutte contre les Fake News a pris plusieurs formes. Tout d’abord, les versions françaises des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou encore Instagram proposent à chaque connexion de consulter les « informations données par le gouvernement pour empêcher la propagation du nouveau Covid-19 » et renvoient directement sur la rubrique « Info-Coronavirus » du site www.gouvernement.fr.
Le 30 avril Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, annonce le lancement d’une autre initiative : la mise en ligne sur le site du gouvernement français d’un service « désinfox coronavirus ». Ce service aurait pour objectif de recenser « certains articles de journaux jugés sûrs et vérifiés » concernant l’épidémie du Coronavirus. Son objectif est de répertorier certains articles de « médias français luttant, dans le cadre de la crise sanitaire, contre la désinformation » vers lesquels il renvoie directement (AFP, Libération, franceinfo…).
Pourtant cette initiative inquiète. Dès le 4 mai, le Syndicat National des Journalistes saisit le Conseil d’Etat d’un référé-liberté demandant la suppression de la page « Désinfox Coronavirus ». Plus particulièrement, ce recours en urgence a pour objectif de « faire cesser immédiatement l’atteinte grave et manifestement illégale portée aux principes de pluralisme dans l’expression des opinions et de neutralité des autorités publiques ».
En effet, la prise de position du gouvernement vis-à-vis des médias et sa volonté de « certifier » certaines informations au détriment d’autres, notamment en fonction du média concerné, inquiète. Par ce biais, l’Etat semble se poser comme arbitre de la « bonne » information. Loin de remplir son rôle de garant de la liberté de la presse, l’Etat, au travers de sa plateforme « désinfox coronavirus », semble vouloir imposer une certaine censure des médias. Pire encore, en agréant certaines informations et en rejetant d’autres, il se substitue au libre-arbitre de chaque individu et le prive de la liberté de se forger sa propre opinion en lisant une pluralité de médias.
Dès le lendemain de l’introduction du référé-liberté, avant même que le Conseil d’Etat n’examine la demande, le gouvernement a fait marche arrière et annoncé la suppression du service « désinfox coronavirus », tout en précisant que « cette initiative ne représentait évidemment pas un objectif de tri d’articles ou d’informations ».
Cette initiative rapidement avortée n’est pas sans rappeler la très controversée loi n°2018-1202 relative à la lutte contre la manipulation de l’information du 22 décembre 2018, dont l’objectif est de lutter contre la prolifération des fausses informations en période électorale. En dépit des nombreuses critiques sur les aspects de cette loi jugée liberticide, le 20 décembre 2018, le Conseil constitutionnel l’avait pourtant déclarée constitutionnelle.
L’équilibre, précaire, entre liberté d’expression et fausses informations est manifestement un sujet toujours d’actualité. A surveiller.