Tribune – Carine Piccio, Avocat Associé
Le 28 février 2020 le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé que pour tous les marchés publics de l’État le virus du Covid-19 serait « considéré comme un cas de force majeure », ce qui justifiera qu’en cas de « retard de livraison de la part des PME et des entreprises » il n’y ait pas l’application de pénalités. Mais alors qu’une grande partie de l’économie est quasi à l’arrêt et que l’impact s’annonce massif sur de nombreux secteurs d’activités, quel sera le sort des contrats commerciaux face à la crise ? Celui qui est engagé pourrait-il se prévaloir de la force majeure comme cause d’irresponsabilité pour suspendre ou mettre fin à ses obligations ?
L’épidémie du Covid-19 : un cas de force majeure ?
Selon l’article 1218 du Code civil « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Temporaire, l’évènement justifiera la suspension de l’exécution de l’obligation, sauf à ce que le retard qu’il ait entraîné ne légitime la résolution du contrat, définitif l’empêchement justifiera la résolution de plein droit du contrat libérant les parties de leurs obligations.
Face à la crise, nombreuses sont les entreprises qui ne sont plus en mesure de s’exécuter et pourraient vouloir recourir à la force majeure pour se libérer de leurs obligations contractuelles. Les tribunaux seront vraisemblablement amenés à se prononcer sur la question, et même si les juges apprécient au cas par cas, les précédents existent : l’épidémie de la dengue en 2007 (CA Nancy, 22 novembre 2010, RG n°09/00003), la grippe H1N1 en 2009 (CA Besançon, 8 janvier 2014, RG n°12/0229), ou encore le virus du chikungunya en 2013/2014 (CA Basse-terre, 17 décembre 2018, RG n°17/00739) n’ont pas été reconnus comme des crises sanitaires constitutives de force majeure. Risque de diffusion et effets de la maladie sur la santé connus, taux de mortalité réduit, traitements préventifs existants, etc. les motifs sont propres à chaque cas d’espèce, mais la conclusion est toujours la même : la seule existence de l’épidémie ne suffit pas à caractériser la force majeure.
Toutefois, les mesures administratives prise pour lutter contre l’épidémie pourraient, elles, poser la question différemment. En effet, des premières mesures prises pour lutter contre la propagation du virus Covid-19 en restreignant la libre circulation et de réunion des personnes, jusqu’à la promulgation le 16 mars 2020 du décret n°2020-260, qui restreint très largement les déplacements, toutes entravent fortement quand elles ne la stoppent pas l’activité de beaucoup d’entreprises. Les entreprises ne sont pas responsables de mesures exceptionnelles, donc imprévisibles, et impératives, donc irrésistibles, qui s’imposent à tous. De fait, si ce n’est l’épidémie elle-même ses conséquences pourraient donc être jugées constitutives de force majeure.
La première vérification à opérer dans les contrats est donc celle de l’existence d’une clause de « Force majeure » et, le cas échéant, de sa rédaction. En effet, en vertu du principe général de liberté contractuelle, et afin d’éviter l’aléa d’une interprétation judiciaire, les parties peuvent s’entendre sur leur propre définition de la force majeure, choisir de maintenir les obligations des parties même en cas de survenance d’un évènement de force majeure, etc.
La renégociation des contrats postérieurs au 1er octobre 2016 sur le fondement de l’imprévision
Si la force majeure ne peut être démontrée, la révision ou la résolution d’un contrat pourrait être réclamée sur la base de l’imprévision introduite le 1er octobre 2016 à l’article 1195 du Code civil, dès lors qu’il a été conclu après cette date. L’imprévision désigne un changement de circonstances économiques qui affecte tout ou partie de l’exécution du contrat, là où la force majeure l’affecterait totalement. Ce bouleversement économique, s’il n’empêche pas nécessairement l’exécution contractuelle, réduit fortement pour l’une des parties sa rentabilité, voire lui génère un coût d’exécution. Les conditions de l’imprévision réunies, la partie lésée doit d’abord tenter de renégocier les termes du contrat avant qu’en cas de refus ou d’échec les parties s’entendent sur sa résolution ou, d’un commun accord, réclament au juge de procéder à sa révision ou sa résolution.
Si l’imprévision est une bonne alternative à la force majeure, son caractère supplétif la rend malgré tout incertaine, les parties ayant la possibilité d’écarter contractuellement son application. En outre, durant la renégociation et/ou dans l’attente de la décision du juge sur le sort du contrat, son exécution n’est pas suspendue. Elle pourrait donc ne pas nécessairement représenter la solution idoine à court terme.
Privilégier la négociation de moratoires de paiement et autres clauses essentielles des contrats
Être rapidement opérationnel à la sortie de la crise sanitaire que nous traversons suppose d’adapter les obligations contractuelles des cocontractants à la réalité économique à laquelle nous allons tous devoir faire face. Outre la reconnaissance éventuelle d’un événement de force majeure ou l’imprévision comme leviers sur le sort des contrats commerciaux, d’autres clauses pourraient être utilisées pour adapter les obligations des parties aux difficultés liées au conséquences de l’épidémie. Il en est ainsi des clauses de révision de prix, de délais de livraison, de prévision de commandes, d’engagement de volumes, ou même encore de résiliation qui pourraient être aménagées.
Si avant la fin du confinement il paraît difficile d’arrêter une position définitive sur le sort des contrats commerciaux en cours face à l’épidémie, en toutes hypothèses l’heure est donc à la renégociation.