Quels que soient les outils d’intéressement utilisés, l’attribution de titres constitue toujours un bon moyen de fidéliser les talents d’une entreprise tout en les encourageant à développer l’activité.
Au sein des groupes, il arrive que la société mère décide de céder des titres de ses filiales à un ou plusieurs managers du groupe à un prix préférentiel en dehors des dispositifs « encadrés » tels que les actions gratuites ou BSPCE.
Si une telle décision relève en principe de la liberté de gestion, l’administration fiscale s’autorise parfois à remettre en cause certaines cessions à prix décoté sur le fondement de l’acte anormal de gestion (« AAG »).
En matière de cessions d’actifs à prix minoré, l’identification d’un acte anormal de gestion est subordonnée aux deux conditions suivantes :
- La preuve par l’administration d’un écart significatif entre la valeur vénale du bien et le prix convenu ; et
- L’absence de justification par le contribuable de ce que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise.
- L’intérêt de l’entreprise est caractérisé dès lors que (i) il existe une contrepartie à l’opération ou (ii) elle se trouvait contrainte de céder à un tel prix.
La fidélisation des cadres : une contrepartie valable à une cession de titres à prix minoré
Le Conseil d’Etat a admis dans son arrêt « Min. c/ Chalumeau » (CE, 26 sept. 2011, n° 32778) que la fidélisation des cadres puisse constituer une contrepartie valable à une cession de titres à prix minoré.
Ce principe a par la suite été réitéré de manière explicite par trois arrêts rendus par la Haute Juridiction le 16 octobre 2013 (n° 339165, n° 339166 [Adélaïde] et n° 329420) :
« L’objectif d’une société mère visant à bénéficier durablement du concours d’un cadre de niveau élevé au sein d’une filiale peut permettre d’établir l’existence d’une contrepartie pour la société mère ».
Les titres cédés doivent être ceux de la société qui emploie le bénéficiaire de la cession
Dans l’arrêt Min. c/ Chalumeau, l’existence d’une contrepartie n’avait pas été admise au motif que la cession à prix minoré avait été réalisée au profit des cadres dirigeants de la société mère des filiales dont les titres étaient cédés, et non directement au profit des dirigeants de ces filiales.
La société cédante doit démontrer précisément le rôle clé des bénéficiaires de la cession
Dans l’arrêt Adélaïde, le Conseil d’Etat a précisé que la contrepartie pour la société cédante doit être matérialisée, notamment par référence précise au rôle des cadres bénéficiaires.
La société cédante doit justifier d’un intérêt propre à la cession
L’intérêt de la société mère à procéder à une cession à prix minoré doit encore lui être propre et ne pas se confondre avec un intérêt de groupe, conformément à la jurisprudence constante du Conseil d’Etat (CE, 24 février 1978, n° 2372 ; CE, 28 mars 2008, n° 277521 et 277521).
L’intérêt propre de la société peut résider dans la prise de valeur de sa propre participation dans la filiale dont elle a cédé les titres (cf. arrêt Alone & Co. mentionné ci-après).
L’existence d’un intérêt propre –et dès lors d’une contrepartie– a également pu être démontrée dès lors que la cession à prix minoré avait permis à la société de stabiliser son actionnariat et sa gouvernance et de reprendre son développement entravé par le conflit entre associés (CE, 21 oct. 2020, n° 434512).
Focus sur la jurisprudence récente : les arrêts Alone & Co. (CE, 11 mars 2022 n°453016) et Windsor (CE, 2 juin 2022 n° 448886)
Ces deux arrêts confirment le recul de la théorie de l’acte anormal de gestion en matière de cessions à prix minoré et précisent les critères permettant d’apprécier l’existence d’une contrepartie.
Dans l’arrêt Alone & Co., le Conseil d’Etat a reconnu l’existence d’une contrepartie pour une société mère (Alone & Co) ayant consenti au directeur commercial de l’une de ses filiales (Soréal-Ilou) une promesse de vente portant sur les actions de cette filiale à un prix décoté et fixé à l’avance.
La Haute Juridiction a en effet considéré que la société Alone & Co avait un intérêt propre à l’opération « compte tenu des avantages résultant de l’implication complémentaire qu’elle pouvait attendre, du fait de l’option d’achat qu’elle lui attribuait, de ce cadre dirigeant de la société dont elle détenait les titres ».
Pour ce faire, le Conseil d’Etat s’est notamment fondé sur le fait que les compétences du salarié et son expérience étaient de nature à lui permettre, par son implication particulière, d’obtenir un accroissement important du chiffre d’affaires de la filiale et, par suite, de la valeur de ses titres.
Il a en revanche jugé inopérantes les circonstances suivantes :
- Le bénéficiaire de la cession était directeur commercial mais non salarié de la filiale.
- La promesse de cession à prix décoté n’était pas subordonnée au respect d’engagements pris par ce dernier, notamment en termes de durée de présence dans l’entreprise ou de durée de conservation des titres.
Dans la droite ligne de cet arrêt, l’arrêt Windsor valide une cession à prix minoré au profit des salariés d’une filiale dès lors que la promesse vente faisait ressortir que :
- La cession était consentie en considération du rôle personnel que pouvait jouer le bénéficiaire dans le développement de la société dont les titres étaient cédés.
- Elle était subordonnée à la condition que le bénéficiaire soit toujours salarié au jour de la levée de l’option d’achat.
- En cas de rupture de son contrat de travail, le salarié était tenu de céder ses titres à la société cédante.
En somme, s’il est vrai que la requalification d’une cession à prix minoré en acte anormal de gestion n’est plus systématique, il convient de rester attentif aux conditions dans lesquelles la cession est consentie afin de pouvoir démontrer de l’intérêt de la société cédante tout en gardant également à l’esprit les risques de requalification en salaires.
Amélie Elmaleh