Droit des entreprises en difficulté
Par François Squalini, Professeur des universités Responsable du Master 122 Université Paris-Dauphine
Numa Rengot, Avocat associé Head of Restructuring Aston Avocats
Pauline Vigneron, Avocate Aston Avocats
Le prepack cession, outil d’acquisition d’actifs stratégiques
Au cours des House of Finance Days de mars 2016 de l’Université Paris-Dauphine, le Master 122 de droit approfondi de l’entreprise et le cabinet d’avocats Aston ont organisé une table ronde intitulée : « Le Prepack cession comme outil financier et stratégiques ». Les intervenants, spécialistes du droit, de l’économie ou encore du milieu bancaire et financier, ont successivement donné leur point de vue sur ce nouvel outil.
Le prepack cession a connu un succès mitigé depuis sa mise en place en 2014. Il reste méconnu, malgré ses indéniables qualités. François Pasqualini, professeur à l’Université Paris-Dauphine et directeur du Master 122, a présenté le mécanisme du prepack cession, soulevant ainsi des interrogations concrètes engendrées par le dispositif ouvert désormais aux professionnels du Restructuring.
Le prepack cession permet à un débiteur, dont l’entreprise est placée en procédure de mandat ad hoc ou de conciliation, de demander, après avis de ses créanciers, que le conciliateur/mandataire soit chargé d’une mission ayant pour objet l’organisation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise qui pourrait être mise en oeuvre, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
De façon pragmatique, le prepack cession atténue l’étanchéité entre la prévention et le traitement des difficultés financières. Il accroît les liens procéduraux entre la conciliation et la sauvegarde ou le redressement judiciaire, indépendamment du critère de la cessation des paiements, et place le débiteur au coeur du dispositif, tout en renforçant les possibilités de négociations avec les repreneurs. Il s’inscrit dans la continuité des réformes du droit de la faillite qui ont progressivement conduit à une prise en charge des difficultés le plus tôt possible, constatant qu’une intervention tardive rendait illusoire la sauvegarde de l’entreprise.
ORIGINE ET GENÈSE
Numa Rengot, avocat associé au sein du cabinet Aston, en charge du département Restructuring, a ensuite précisé l’origine et la genèse du prepack cession. Selon lui, il est possible de synthétiser la notion autour de la règle des « 4 A » : amorcer, anéantir, assurer et améliorer. En effet, le prepack cession permet d’abord d’amorcer les chances de retournement de la situation de la société en anticipant la prise en charge de ses difficultés. Il donne ensuite la possibilité d’anéantir les conséquences dévastatrices d’une procédure collective classique, souvent synonyme de perte des clients, des fournisseurs et des concours bancaires, pour favoriser la transmission de l’entreprise, tout en assurant une meilleure valorisation des actifs. Il autorise enfin une amélioration de la durée du traitement des difficultés, en prénégociant la cession des actifs et en diminuant les coûts afférents aux procédures.
UN MÉCANISME ENCORE MÉCONNU
Prenant comme exemple son expérience personnelle, Numa Rengot a souligné la diversité des opérations et des protagonistes pouvant intervenir durant un prepack cession.
Il s’est ainsi appuyé sur deux dossiers en apparence proches, puisqu’ils portaient sur des entreprises privées travaillant majoritairement sur des chantiers publics, l’une spécialisée dans les BTP, l’autre dans le traitement des déchets. Après ouverture d’une procédure de conciliation au profit de chacune d’elles, un cessionnaire potentiel appartenant à leur secteur respectif a manifesté son intérêt pour leur reprise. Néanmoins, si le prepack cession s’est parfaitement déroulé pour la première société et a permis la sauvegarde de l’entreprise et la préservation de la quasi-totalité des emplois, il n’en a pas été de même pour la seconde. Au terme de plusieurs mois de négociation au cours desquels un accord semblait trouvé, les vieux démons des procédures collectives sont réapparus et le candidat à la cession a fait intervenir un conseil en droit social, peu accoutumé aux pratiques spécifiques du Restructuring, qui a soutenu que l’opération apparaissait bien trop dangereuse compte tenu du risque de condamnation pour collusion frauduleuse. Le processus de négociation a donc été arrêté, l’entreprise n’a pas pu être cédée et elle a fini par être confrontée à des difficultés de trésorerie encore plus importantes que celles qu’elle avait connues au moment de l’ouverture de la conciliation et qui auraient pu être limitées si une négociation en amont avait été réalisée avec les principaux créanciers.
Aussi, malgré son importante flexibilité, ce mécanisme demeure malheureusement encore trop souvent ignoré par de nombreux acteurs économiques et peut faire l’objet de certaines réticences infondées. Pour développer le recours au prepack cession, l’orateur a rappelé la nécessité de faire preuve de pédagogie à l’égard des entreprises pour les conduire à opérer des acquisitions stratégiques dans un climat sécurisé.
L’environnement économique difficile dans lequel s’inscrit le prepack cession a ensuite été mis en évidence par Jean-Claude Palu, Senior Financial Advisor chez Deloitte. Ce dernier a dénoncé trois éléments principaux qui tendent actuellement à favoriser la sous-performance des entreprises. Les deux premiers sont particulièrement néfastes pour certains secteurs, comme l’imprimerie, le routage ou les BTP, dont la situation est très dégradée. Ils tiennent à la faiblesse des niveaux d’activité et au phénomène de digitalisation (« ubérisation »). Le troisième
– last but not least – résulte d’un élément démographique : le vieillissement général de la population des chefs d’entreprises engendre une sous-performance liée à un détachement progressif du dirigeant proche de l’âge de la retraite et aux difficultés pour opérer un repositionnement nécessaire au maintien de la compétitivité de l’entreprise.
PRÉPARER EN AMONT UNE SOLUTION DE RETOURNEMENT VIABLE
Face à l’ouverture de nombreuses procédures collectives, le prepack cession peut faciliter une amélioration du sort des entreprises et éviter leur disparition en préparant en amont une solution de retournement viable. Pour cela, il dispose de deux atouts concurrentiels majeurs qui devraient favoriser son développement : les opérateurs ont un cadre de négociations constitué par la procédure préventive de conciliation ou de mandat ad hoc, tandis que le dispositif mis en oeuvre permet d’accentuer la rapidité – et donc l’efficacité – du traitement des difficultés.
Le prepack cession favorise également une meilleure valorisation des actifs de l’entreprise, point sur lequel a insisté Stéphane Cohen, président de l’Ordre des experts-comptables Paris Île-de-France. La situation de l’entreprise n’étant pas encore totalement dégradée au moment des négociations, ses actifs peuvent être cédés à un prix raisonnable qui s’éloigne des prix parfois extrêmement bas proposés dans une procédure de cession classique. Stéphane Cohen a par ailleurs évoqué la difficulté liée à la publicité du prepack cession. Voulue par le Code de commerce en des termes ambigus (« publicité suffisante »), elle intervient dans le contexte d’une procédure de prévention des difficultés des entreprises qui, par définition, est confidentielle. Plusieurs exemples récents de prepack cession mettant en présence quelques grands groupes français ont été cités par Michel Bianchi, rapporteur au Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Ce dernier a rappelé l’importance de l’intervention de l’État dans le retournement des entreprises et la priorité fondamentale donnée à la sauvegarde de l’emploi. Il a d’ailleurs précisé que, dans les cas exposés, entre 80 et 100 % des emplois ont pu être sauvegardés grâce à la préparation en amont de la cession des actifs des entreprises et à la temporalité propice du prepack cession.
UNE PROCÉDURE QUI COMPORTE NÉANMOINS CERTAINS RISQUES
Au cours d’un prepack cession, les organes de la procédure occupent une place cruciale, ce qu’a rappelé Nathalie Leboucher, administrateur judiciaire au sein de l’étude FHB, en insistant sur le rôle prépondérant de deal maker que peuvent jouer les membres de sa profession. En effet, si, par rapport à une procédure de cession classique, le prepack cession comporte de nombreux avantages – et, notamment, comme il a été dit, le traitement en amont des difficultés, la réduction des délais, l’absence de dévalorisation des actifs ou encore la reprise d’un grand nombre de salariés –, il n’est pas dépourvu de risques. Revenant sur la question soulevée par Stéphane Cohen, Nathalie Leboucher a remarqué que l’enjeu essentiel pour l’administrateur judiciaire sera de concilier la confidentialité attachée aux procédures préventives et la publicité indispensable à la mise en concurrence des potentiels repreneurs. Afin d’éviter une opacité du prepack cession, l’administrateur judiciaire devra se faire le garant du respect de la publicité et du calendrier de la cession en fixant une date limite de dépôt des offres, non publique, mais commune à tous les candidats repreneurs.
Par ailleurs, pour atténuer le risque d’une éventuelle collusion frauduleuse entre débiteur et repreneur, le législateur a accordé une place de choix au conciliateur – qui rédige un rapport –, au ministère public – qui émet un avis – et au tribunal – qui contrôle, au vu de ce rapport et de cet avis, la qualité des offres de reprises émises.
DIFFÉRENTS MODES DE FINANCEMENT
La question du financement, bien évidemment primordiale, a finalement été évoquée par deux intervenants : André Le Tulzo, directeur commercial régional de GE Factofrance, et Jean-Louis Grevet, président de Perceva. Les différents modes de financement ouverts aux entreprises en difficulté, et notamment l’affacturage, ont été d’abord présentés par André Le Tulzo. Face à la réticence des banques à financer la nouvelle activité du cessionnaire d’une entreprise en difficulté, l’option qui se dégage de plus en plus fréquemment est le recours à l’affacturage. Adossé au poste clients, il permet un financement à moindre risque pour le cessionnaire qui peut se garantir ainsi contre la menace de l’insolvabilité due au mauvais paiement des clients. Ce mode de
financement, qui repose sur un contrat négocié entre les parties, s’intègre parfaitement à la vision en amont du prepack cession.
Jean-Louis Grevet a ensuite abordé le rôle joué en la matière par les fonds de retournement. Selon lui, les institutionnels étrangers ont un intérêt grandissant pour investir dans des entreprises françaises en difficulté, notamment en raison de la qualité des solutions juridiques proposées par le droit des faillites français. À ce titre, une entreprise comme la sienne sera peut-être demain un acteur essentiel. En tant que fonds de retournement, son activité s’oriente vers le capital-déploiement, c’est-à-dire un investissement à long terme assorti d’une position consensuelle à l’égard
des dirigeants. Si sa société n’a pas encore vécu l’expérience du prepack cession, Jean-Louis Grevet reconnaît l’utilité de cet outil qui vient compléter le panel déjà existant pour aider les entreprises en difficulté à trouver des solutions de redressement dans l’intérêt de toutes les parties intéressées.
Le Parcours 122
Droit approfondi de l’entreprise
Formation d’excellence, le Parcours 122 Droit Approfondi de l’Entreprise, à finalité recherche, a pour objectif de former des juristes de haut niveau dans une matière encore nouvelle mais en
plein épanouissement à l’échelon français, européen et international. Carrefour entre les disciplines plus classiques (droit des obligations, droit des sociétés) et les plus modernes (droit des marchés financiers, droit du crédit), le droit de l’entreprise invite à abolir les frontières traditionnelles entre le droit privé et le droit public, d’une part, et entre le droit interne et le droit communautaire ou international, d’autre part. fort d’une longévité de plus de trente ans, la formation a su évoluer et nouer des partenariats afin de correspondre aux nouvelles exigences du marché du travail.
Comptant en son sein une équipe pédagogique de qualité mais aussi des professionnels habitués au hautes sphères du droit des affaires, le Parcours 122 propose un enseignement des plus dynamiques et des plus complets afin de donner au étudiants les outils nécessaires pour une meilleure réflexion et pratique du droit.