Marie-Cécile LAURENS et Paul CHEVALIER vous proposent une analyse relative au droit de la responsabilité civile, à l’épreuve des nouvelles technologies, en deux volets.
Le premier volet, traité par Marie-Cécile, est consacré à la responsabilité des parents du fait des agissements de leurs enfants sur les réseaux sociaux, ainsi qu’à la responsabilité personnelle des parents qui exposent leurs enfants, tandis que le second, traité par Paul, sera consacré à l’intelligence artificielle.
Le droit de la responsabilité civile à l’épreuve des nouvelles technologies : VOLET 1
Le droit de la responsabilité civile est, pour beaucoup de ses dispositions, fondé sur les règles juridiques issues du Code civil de 1804, adoptées par une société encore loin d’imaginer les défis qui allaient se présenter à elle dans les années à venir.
Les évolutions technologiques ont profondément affecté la nature et l’étendue des risques auxquels l’homme (et son assureur !) est désormais confronté, et donc des dommages dont il doit répondre ou dont il peut être victime.
L’utilisation d’un réseau social a par exemple révélé ses vertus mais aussi tous ses vices.
L’encadrement de ces derniers pose de nouvelles questions :
Le fait de l’enfant qui cause un dommage via un réseau social peut-il engager la responsabilité de ses parents ? Un parent peut-il afficher son enfant sur les réseaux sociaux ? Quid si les parents sont séparés ?
Décryptage.
- Responsabilité des parents du fait de leurs enfants
D’après une enquête de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de 2021, la première inscription sur un réseau social interviendrait en moyenne vers l’âge de 8 ans et demi et plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur ces plateformes.
En l’état actuel du droit, un mineur doit être âgé d’au moins 13 ans pour pouvoir s’inscrire et utiliser un réseau social.
Il reste que parmi les mineurs utilisateurs de 13 à 17 ans, outre ceux mentant sur leur âge, on ne compte plus les débordements sur les réseaux sociaux.
Quelles règles de la responsabilité civile trouvent à s’appliquer si un enfant cause un dommage via un réseau social ?
L’article 1242 alinéa 4 du Code civil dispose :
« Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».
La responsabilité des parents est donc conditionnée à la réunion de plusieurs conditions :
- Un fait de l’enfant, cause du dommage
- Une cohabitation de l’enfant avec ses parents
- L’exercice de l’autorité parentale par les parents
Depuis l’arrêt de la Cour de cassation dit BERTRAND du 19 février 1997, il est acquis que la responsabilité des parents est une responsabilité de plein droit, ils ne peuvent donc s’exonérer en démontrant leur absence de faute.
Dès lors que l’enfant cause un dommage à autrui, il peut être poursuivi civilement mais aussi pénalement.
Il y a alors de fortes chances pour que les victimes s’adressent aux parents de l’auteur pour obtenir réparation.
Le fait de l’enfant peut-il résulter d’agissements sur les réseaux sociaux ?
Lors d’échanges virtuels, compte tenu de la facilité des discussions, de la protection que les écrans semblent parfois apporter, même si elle n’est qu’illusoire, les enfants peuvent tenir des propos injurieux ou diffamatoires.
Sans le savoir, ils peuvent être aussi la source de dommages civils, d’atteintes à la vie privée par la diffusion de photos ou de vidéos ou même d’infractions pénales.
Une fois le dommage causé, il faut le réparer, et à défaut de réparation en nature, c’est une indemnisation qu’il faut envisager. Et l’enjeu peut parfois être important.
Exemple 1 : un mineur filme son voisin dans son jardin et diffuse la vidéo, il commet ainsi une atteinte à sa vie privée qui peut engager la responsabilité de ses parents.
Exemple 2 : un mineur filme, volontairement ou non, des documents confidentiels, chez les parents d’un camarade qui dirigent une grande entreprise, et les diffuse sur internet.
Il révèle alors des informations relevant du secret des affaires, relative à une technologie innovante par exemple, reprise ensuite par un concurrent.
Le préjudice peut être considérable.
Il faut alors se poser la question de la prise en charge par un contrat d’assurance. Est-on assuré pour ce type de dommage ?
Pour aller plus loin, on pourrait également s’interroger sur la responsabilité des plateformes pour manquement à leur obligation de surveillance.
Bon à savoir : Une proposition de loi est en cours de discussion au Sénat pour voir augmenter la majorité numérique à 15 ans.
Affaire à suivre donc !
- La responsabilité personnelle des parents du fait de l’exposition de leur enfant
Une étude de l’observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique a révélé que la moitié des parents (53%) ont déjà partagé une photo ou une vidéo de leur enfant sur les réseaux sociaux, certains contre rémunération.
L’article 9 du Code civil dispose que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée », et les mineurs n’y font pas exception.
Si les deux parents sont d’accord pour exposer leur enfant sur un réseau social, il n’y a, a priori, pas de difficulté.
Quoiqu’il y a fort à parier que dans les années à venir, un contentieux naîtra, opposant les enfants exposés et les parents qui se verront reprocher la publication de photos et vidéos les plus compromettantes !
C’est d’ailleurs ce que j’aurais fait si mes parents avaient publié cette vidéo de moi (preuve en est que ma passion débordante pour le chocolat ne date pas d’hier) :
La question se pose surtout lorsque les parents ne sont pas d’accord.
L’accord des deux parents est bel et bien nécessaire afin de publier des photos sur internet, la jurisprudence considérant qu’il ne s’agit pas d’un acte usuel (CA VERSAILLES 25 juin 2015, 13/08349, CA PARIS, 4 février 2021, 20/07891).
Même flouté, si l’enfant est reconnaissable, la photo doit être soumise à l’autorisation de l’autre parent !
Si un parent persiste à publier des photos de l’enfant malgré le désaccord de l’autre, on peut alors mettre en œuvre des mesures judiciaires pour contraindre l’autre parent à retirer les photos, sous astreinte si nécessaire.
Ainsi, la plus grande prudence s’impose s’agissant de contenus ayant vocation à être diffusés.
Retrouvez le volet 2 consacré à la responsabilité civile à l’épreuve de l’intelligence artificielle très prochainement !