Les nouvelles obligations issues de la directive UE 2018/822 du Conseil de l’Europe dite « DAC 6 », qui modifie la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. Cette nouvelle Directive impose aux intermédiaires, dont les avocats et conseils fiscaux, et éventuellement aux contribuables concernés au sein de l’UE, l’obligation de déclarer les dispositifs transfrontières considérés comme potentiellement agressifs fiscalement et mis en œuvre à partir du 25 juin 2018.
CHAMP D’APPLICATION
Ne doivent être déclarés que les dispositifs qui répondent à un certain nombre de critères.
- L’existence d’un « dispositif »
La définition est assez large (art. 1649 AD du CGI, BOI-CF-CPF-30-40-10-10-20200429 § 10 à 30) : doit être déclaré « tout accord, montage ou plan ayant ou non une force exécutoire, ainsi que toutes les étapes et transactions par lesquelles il prend effet ».
Un dispositif peut être (i) soit commercialisable (documentation et/ou structure normalisée rendant le dispositif disponible pour plusieurs contribuables sans grande adaptation), (ii) soit sur mesure (BOI-CF-CPF-30-40-10-10- 20200429 § 40).
- Caractère transfrontière du dispositif
Deux conditions cumulatives doivent être réunies (art. 1649 AD du CGI) :
- le dispositif implique la France et un autre État, membre de l’Union européenne ou non ; et
- les participants (i) ont leur résidence ou exercent une activité dans au moins deux États distincts ou (ii) le dispositif peut avoir des conséquences sur l’échange automatique d’informations ou sur l’identification des bénéficiaires effectifs.
Attention à la définition large de la notion de « participant » (BOI-CF-CPF-30-40-10-10-20200429 § 70) : intermédiaires, contribuables concernés, entreprises associées, toute autre personne ou entité susceptible d’être concernée.
- Impôts concernés par le dispositif
Impôts exclus (BOI-CF-CPF-30-40-10-20200429 § 1) : TVA, droits de douane et droits d’accises, cotisations obligatoires et prélèvements sociaux dus à l’État membre, à une de ses entités ou aux organismes de sécurité sociale de droit public.
Impôts éligibles (BOI-CF-CPF-30-40-10-10-20200429 § 120) : tous les autres impôts, français et étrangers (UE ou non).
- Dispositif présentant l’un des « marqueurs » identifiés par la directive
Du fait de la difficulté de désigner avec précisions les dispositifs comportant des risques de fraude, la directive dresse une liste des caractéristiques et éléments des opérations présentant des signes manifestes d’évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives plutôt que de définir la notion de planification fiscale agressive. Ces indications sont appelées des « marqueurs ».
Le dispositif est ainsi déclarable lorsqu’il comporte un ou plusieurs marqueurs indiquant un risque potentiel d’évasion fiscale prévus à l’article 1649 AH du CGI. Deux catégories de marqueurs sont définies :
- des marqueurs (généraux et spécifiques) qui supposent, en plus de leur caractérisation, celle d’un avantage principal fiscal pour rendre le dispositif déclarable ;
- des marqueurs spécifiques qui se suffisent à eux-mêmes et instaurent une présomption : ils sont liés aux opérations transfrontières, concernant l’échange automatique d’informations et les bénéficiaires effectifs ainsi que les prix de transfert.
- Dispositif mis en œuvre à partir du 25 juin 2018
Rétroactivité des obligations déclaratives pendant la période transitoire : doivent être déclarés les dispositifs transfrontières dont la première étape a été mise en œuvre entre le 25 juin 2018 et le 1er juillet 2020. Toute modification ultérieure apportée à ces dispositifs est déclarable si cette modification peut être qualifiée de dispositif transfrontière déclarable.
Périmètre des obligations nouvelles : doivent être déclarés les dispositifs transfrontières (i) mis à disposition aux fins de mise en œuvre, (ii) prêts à être mis en œuvre ou (iii) dont la première étape a été mise en œuvre à partir du 1er juillet 2020 (objectif d’appréhension anticipée des schémas par les administrations).
IDENTIFICATION DES « MARQUEURS »
- Marqueurs devant être associés au critère de l’avantage principal fiscal pour être pris en compte
Le critère de l’avantage principal est rempli s’il est établi que l’avantage principal ou l’un des avantages principaux qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer d’un dispositif, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, est de nature fiscale (remboursement d’impôt, allégement ou diminution d’impôt, réduction de dette fiscale, report d’imposition ou absence d’imposition).
L’objectif réellement poursuivi par le contribuable est indifférent dès lors que l’appréciation de ce critère est objective (ex : l’administration peut se référer à un critère d’analyse de l’importance de l’avantage principal qui repose notamment sur « la valeur de l’avantage fiscal obtenu par rapport à la valeur des autres avantages retirés du dispositif ». )
-> Ces marqueurs sont détaillés et illustrés par des exemples au BOI-CF-CPF-30-40-30-10.
- Catégorie A : Marqueurs généraux liés au critère de l’avantage principal
A1 : le contribuable concerné ou un participant au dispositif s’engage à respecter une clause de confidentialité selon laquelle il peut lui être demandé de ne pas divulguer à d’autres intermédiaires ou aux autorités fiscales comment le dispositif pourrait procurer un avantage fiscal. Il semblerait que les accords de confidentialité généraux, dont l’objectif n’est pas de protéger l’ingénierie fiscale du dispositif, soient considérés comme étant hors du champ de ce marqueur. Sont par ailleurs exclus le secret professionnel ou autres clauses découlant d’obligations légales ou déontologiques.
A2 : dispositif pour lequel la rémunération des intermédiaires ayant participé au schéma transfrontalier est liée à l’avantage fiscal obtenu.
NB : ne vise pas les honoraires de résultats prévus pour d’autres types d’intervention (contrôles fiscaux, contentieux, etc.).
A3 : dispositifs commercialisables (cf. supra).
- Catégorie B : Marqueurs spécifiques liés au critère de l’avantage principal
B1 : Acquisition d’une société réalisant des pertes afin d’utiliser celles-ci pour réduire sa charge fiscale.
B2 : Dispositifs permettant la conversion de revenus en capital, en dons ou en d’autres catégories de recettes moins taxées.
B3 : Transactions circulaires résultant en un « carrousel » de fonds au moyen d’entités interposées sans fonction commerciale primaire. Sont visés des dispositifs dans lesquels les fonds provenant d’un État membre transitent via des sociétés relais établies dans des juridictions étrangères et qui y bénéficient d’un traitement fiscal favorable puis retournent dans l’État membre d’origine.
- Marqueur spécifique lié aux opérations transfrontières C1 b) i) ; c) ; d)
C1 : Dispositifs permettant la déduction de paiements transfrontières entre entreprises associées lorsque le paiement :
(b)(i) soit n’est pas soumis à l’IS (ou à un taux quasi-nul : < 2%) ; (c) soit bénéficie d’une exonération fiscale totale ou (d) d’un régime fiscal préférentiel dans la juridiction où le bénéficiaire réside.
NB : la notion de régime fiscal préférentiel est établie si le paiement octroie une forme de préférence fiscale comparativement aux principes généraux de la fiscalité de la juridiction concernée (réduction de taux ou de base d’imposition, ruling, etc.).
- Marqueurs pour lesquels le critère de l’avantage principal n’est pas requis
Cette catégorie de marqueurs fonctionne hors de toute appréciation d’un avantage principalement fiscal et se révèle d’application plus automatique.
-> Cette catégorie est détaillée par l’administration au BOI-CF-CPF-30-40-30-20.
- Catégorie C : Marqueurs spécifiques liés aux opérations transfrontières
C1 : Dispositifs permettant la déduction de paiement entre entreprises associées lorsque le bénéficiaire (a) ne réside dans aucune juridiction ou (b)(ii) réside dans une juridiction non-coopérative (ETNC).
Situations de « treaty shopping » :
C2 : Les déductions d’amortissements pour un même actif sont demandées dans plusieurs Etats : il s’agit de la situation où, compte tenu des règles prévues par la convention fiscale, un revenu net (par exemple des loyers sur un bien immobilier) est imposé exclusivement dans un État alors même que les charges d’amortissement sont déduites dans les deux États ;
C3 : Allègement au titre de la double imposition demandé dans plusieurs juridictions : tout dispositif reposant sur l’utilisation de stipulations conventionnelles pour effectuer une demande dans au moins deux juridictions en vue d’obtenir un allégement ou une exonération d’impôt pour le même élément de revenu et de capital ;
C4 : Transferts d’actifs d’une valeur transfrontière asymétrique : dispositif qui comprend des transferts d’actifs impliquant plusieurs juridictions dont les règles de détermination du montant payable en contrepartie des actifs concernés diffèrent largement (vise des transferts entre deux entités ou, au sein d’une même entité, entre un siège et un établissement).
- Catégorie D : Marqueurs spécifiques concernant l’échange d’informations et les bénéficiaires effectifs
Ces deux types de marqueurs font référence aux référentiels d’échange d’information de l’OCDE et repris par la Directive « DAC 2 », qui mettait en place une norme commune de déclaration (NCD) de comptes financiers au sein des Etats membres. L’article 1649 AC du CGI dispose ainsi que les institutions financières (désignées au BOI-INT-AEA-20-10-10-10) doivent remplir une déclaration relative aux titulaires de comptes financiers en vue de l’échange automatique d’informations avec d’autres États ou territoires.
D1 : dispositif portant atteinte à l’obligation de déclaration découlant de la législation européenne relative aux comptes financiers (DAC2/NCD).
Ces marqueurs visent notamment :
– les transferts de comptes ou d’actifs financiers vers une institution financière dans une juridiction qui n’a pas mis en œuvre la NCD ou qui n’échange pas, au titre de cette norme, de renseignements à des fins fiscales avec la juridiction de résidence du contribuable ;
– certains transferts de comptes ou d’actifs financiers vers un compte qui n’est pas soumis à l’obligation déclarative NCD, ou des stratégies consistant par exemple à diviser les montants détenus sur un compte financier pour rester en-deçà des seuils relatifs aux obligations déclaratives de la NCD, ou encore l’utilisation d’un type de produit financier qui en offre les fonctionnalités sans l’inclure dans la définition légale d’un « compte financier » ;
– les situations portant atteinte aux procédures de diligence mises en place par les institutions financières pour collecter des renseignements au titre de la NCD sur le titulaire d’un compte. Les situations visées sont celles dont le dispositif ne permet pas d’établir l’identité des bénéficiaires effectifs sous-jacents afin de faire échec à l’application de ces procédures de diligence.
Etc.
D2 : dispositif faisant intervenir une chaîne de propriété formelle ou effective non transparente par le recours à des personnes, des constructions juridiques ou des structures qui obéissent aux caractéristiques cumulatives suivantes :
– une absence d’activité économique substantielle ;
– une constitution, une gestion, un contrôle ou un établissement dans une juridiction différente de celle des bénéficiaires effectifs ;
– les bénéficiaires effectifs de ces personnes, constructions juridiques ou structures sont rendus impossibles à identifier.
- Catégorie E : Marqueurs spécifiques concernant les prix de transfert
E1 : Utilisation de régimes de protection unilatéraux.
E2 : Transfert d’actifs incorporels difficiles à évaluer.
E3 : Restructuration résultant en une baisse de 50% des profits suivant le transfert transfrontière de fonctions/risques/actifs au sein du groupe.
MODALITÉS DÉCLARATIVES
-> Des fiches pratiques ont également été mises en ligne sur le site https://www.impots.gouv.fr/portail/directive-ue-dac6-declaration-des-dispositifs-transfrontieres – Détail des mesures au BOI-CF-CPF-30-40-20.
- Qui doit déclarer ?
L’intermédiaire (par principe, avec le cas échéant une obligation de notification envers le contribuable concerné) ou, à défaut, le contribuable concerné : vise les cas où (i) il n’y a pas d’intermédiaire, ou (ii) l’intermédiaire n’a aucun lien avec un Etat membre de l’UE, ou (iii) lorsque l’intermédiaire invoque le secret professionnel cf. infra.
- L’intermédiaire est le concepteur du dispositif, ou tout prestataire ayant contribué à le mettre en place en connaissance de cause. Attention : tous les intermédiaires sont tenus par l’obligation de déclarer, ils ne peuvent en être déchargés qu’en rapportant la preuve qu’un autre intermédiaire a déjà déclaré le dispositif en France ou dans un autre Etat membre.
- Le contribuable concerné est toute personne à qui un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration est mis à disposition aux fins de sa mise en œuvre, ou qui est disposée à mettre en œuvre un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ; ou qui a mis en œuvre la première étape d’un tel dispositif.
-> Lorsqu’un intermédiaire est soumis au secret professionnel, il doit recueillir le consentement du contribuable. A défaut, il devra notifier (par lettre recommandées avec demande d’avis de réception ou lettre suivie) dans le délai de déclaration l’obligation de déclarer le dispositif :
- Soit au contribuable lui-même ;
- Soit, si un autre intermédiaire est identifié, à cet autre intermédiaire.
S’ouvre alors un délai de 30 jours durant lequel la personne notifiée doit déclarer le dispositif (ou, si intermédiaire également soumis au secret, il notifiera à son tour à un autre intermédiaire ou au contribuable). A la suite de cette notification, l’absence de déclaration par la personne notifiée n’est plus de nature à engager la responsabilité du premier intermédiaire.
Ces obligations ont vocation à être modifiées à la suite de l’arrêt rendu par la CJUE le 8 décembre 2022 (affaire C-694/20), ayant jugé que l’obligation faite à l’avocat de notifier à tout autre intermédiaire les obligations de déclaration qui lui incombent entraîne une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
- Quand déclarer ?
- Concernant l’intermédiaire concepteur du dispositif (avocat) ou, le cas échéant, le contribuable (cf. 3 situations susmentionnées):
Principe : Dans un délai de trente jours commençant à la première des dates suivantes :
- le lendemain du jour où le dispositif est mis à sa disposition aux fins de mise en œuvre ;
- le lendemain du jour où le dispositif est prêt à être mis en œuvre par le contribuable ;
- lorsque la première étape de la mise en œuvre du dispositif est accomplie en ce qui concerne le contribuable.
Exception : Lorsque l’intermédiaire ou le contribuable reçoit une notification de son obligation déclarative, le délai de souscription de trente jours est calculé à compter du jour de réception de ladite notification.
- Concernant l’intermédiaire prestataire : dans un délai de trente jours commençant le lendemain du jour où il a fourni, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils (sur la base des informations dont il a connaissance lui permettant d’identifier l’existence d’un dispositif transfrontière déclarable).
- Où déclarer ?
Dans l’Etat membre qui occupe la première place dans la liste ci-dessous :
- Etat membre dans lequel l’intermédiaire est résident à des fins fiscales (ou siège social)
- Etat membre dans lequel l’intermédiaire possède un établissement stable par l’intermédiaire duquel les services concernant le dispositif sont fournis ;
- Etat membre dans lequel l’intermédiaire est constitué ou par le droit duquel il est régi ;
- Etat membre dans lequel l’intermédiaire est enregistré auprès d’une association professionnelle en rapport avec des services juridiques, fiscaux, ou de conseil.
SANCTIONS EN CAS DE DÉFAUT DE DÉCLARATION
Le défaut de déclaration d’un dispositif est sanctionné par une amende maximale de 10 000 €, ramenée toutefois à 5 000 € lorsqu’il s’agit de la première infraction de l’année civile en cours et des trois années précédentes.
Le montant des amendes infligées à un même intermédiaire ou contribuable concerné ne peut excéder 100 000 € par année civile (CGI art. 1729 C ter).